Bilan des nouvelles stratégies immunomodulatrices au cours de la maladie de Crohn :
de bons traitements symptomatiques mais qui ne modifient pas l'évolution naturelle de la maladie
La prise en charge thérapeutique des malades avec maladie de Crohn a changé dans les 15 dernières années avec un meilleur contrôle des symptômes, une diminution de la prise de corticoïdes, et de la fréquence des hospitalisations et des interventions chirurgicales. Cependant, si la qualité de vie des malades s'est améliorée, les complications dues à l'inflammation chroniques telles que les occlusions sur sténoses et les fistules restent toujours aussi fréquentes.
Résumé d'article rédigé par les Pr. Jacques Cosnes, Pr. Denis Constantini, Pr. Antoine Cortot
L’impact sur l’évolution de la MC des modifications thérapeutiques majeures des vingt dernières années reste un sujet brûlant et très controversé. Si tous les experts admettent que les immunomodulateurs et les médicaments biologiques ont transformé la vie quotidienne des malades, leur effet préventif sur le développement des complications et l’évitement de la chirurgie n’est pas clairement démontré. Les longues études de cohorte en population sont très précieuses pour répondre à ces questions car elles donnent une évaluation objective, non biaisée et puissante en terme statistique. Cette étude réalisée dans la région de Maastricht a inclus 1162 patients MC. Les auteurs ont distingué 3 périodes thérapeutiques successives définies par la date du diagnostic de MC: 1991-1998 (n=316), 1999-2005 (n=387) et 2006-2011 (n=459), les patients étant suivis jusqu’en 2014. L’étude statistique a analysé le devenir comparé des patients au cours de ces 3 périodes, puis après appariement selon un score de propension, évalué l’effet spécifique respectif des immunomodulateurs et des anti-TNF prescrits dans les 2 ans suivant le diagnostic.
Comme attendu, le recours aux immunomodulateurs a augmenté significativement d’une période à l’autre (taux cumulés à 5 ans 31% en 1991-1998, 57% en 1999-2005 et 71% en 2006-2011), de même que le recours aux anti-TNF (taux cumulés à 5 ans 3% en 1991-1998, 20% en 1999-2005 et 41% en 2006-2011). L’utilisation des corticoïdes, identique d’un groupe à l’autre la première année, a diminué nettement les années suivantes dans les groupes les plus récents. En parallèle, au cours des 3 périodes successives, les taux d’hospitalisation cumulés à 5 ans ont baissé significativement de 66 à 53 puis 44%, et les taux de chirurgie intestinale de 43 à 26 puis 17%. Mais de façon moins attendue, le développement de complications est resté inchangé. Si on considère les patients classés “B1” au diagnostic (i.e. inflammatoires), les courbes de progression vers la sténose (B2) ou la perforation (B3) étaient strictement superposables au cours des 3 périodes (21% à 5 ans). Pire encore, l’analyse, appariée sur le score de propension, de la prescription respective des immunomodulateurs et des anti-TNF ne montrait aucun effet pour la survenue de complications, la nécessité d’hospitalisations, et même le recours à la chirurgie d’exérèse intestinale.
Les auteurs concluent que les progrès thérapeutiques des vingt dernières années ont fortement impacté les taux d’hospitalisation et de chirurgie intestinale, mais sans modifier l’histoire naturelle de la MC. En d’autres termes, si on hospitalise moins, si on opère moins, c’est le résultat d’une modification de la prise en charge médicale, et non d’un meilleur contrôle de l’évolution anatomique de la maladie.
Cette nouvelle étude observationnelle de cohorte en population fait un « état des lieux » de l’évolution de la prise en charge de la MC et de ses conséquences. Elle est très informative pour ce qui nous concerne, car les modalités thérapeutiques suivies par nos collègues néerlandais sont tout à fait conformes aux recommandations européennes et à la politique du « step-up » majoritairement suivie en France. Par exemple, la majorité des MC diagnostiquées ont d’abord été placées sous corticoïdes, puis sous anti-TNF seulement en cas d’échec. Le glissement vers une prescription plus précoce aussi bien des immunomodulateurs que des anti-TNF est observé partout, et les taux de prescription de ces médicaments à Maastricht sont identiques à ceux de l’assurance-maladie à l’échelle de notre pays. La diminution du recours aux hospitalisations et à la chirurgie est aussi une évidence que toutes les équipes travaillant dans les MICI (dont les chirurgiens) ont constatée. De même, nous évitons tous chaque fois que possible de reprendre les corticoïdes du fait de leur iatrogénicité majeure à long terme, et parce que les immunomodulateurs et les anti-TNF nous permettent de nous en passer. Cela fait du bien de démontrer qu’il y a un réel progrès de ce point de vue depuis les années 90. Là où ça se complique, c’est lorsqu’on examine l’évolution du taux de complications sténosantes ou pénétrantes, resté désespérément stable, malgré des traitements médicaux plus précoces et plus agressifs. L’explication habituelle est que ces traitements ont été donnés trop tardivement, alors que les lésions étaient déjà devenues irréversibles. Mais, n’en déplaise à certains jeunes enthousiastes, aucune étude pour l’instant n’a jamais montré qu’une administration précoce était plus efficace (pour l’azathioprine les 2 études RAPID et AZTEC ont même montré le contraire) et dans le travail de Maastricht, même en définissant l’administration précoce aux 6 premiers mois suivant le diagnostic, on ne voit pas d’effet significatif des immunomodulateurs ou des anti-TNF. La correction par le score de propension est une précaution tout à fait légitime dans cette étude, car ce ne sont pas les mêmes malades que l’on met précocement sous anti-TNF ou en surveillance rapprochée sans traitement majeur. Il faut donc accepter l’idée que ces traitements cliniquement très efficaces le sont moins sur le plan anatomique et dans l’ensemble n’ont qu’un effet modeste sur l’histoire naturelle.
Références
Improvements in the Long-Term Outcome of Crohn's Disease Over the Past Two Decades and the Relation to Changes in Medical Management: Results from the Population-Based IBDSL Cohort.
Jeuring SF, van den Heuvel TR, Liu LY, Zeegers MP, Hameeteman WH, Romberg-Camps MJ, Oostenbrug LE, Masclee AA, Jonkers DM, Pierik MJ.
Am J Gastroenterol. 2017; 112: 325-336.